Depuis des années, la Capitale a beaucoup perdu en espaces agricoles urbains et en espaces verts. Ceci est dû au développement rapide et anarchique de la ville, mais aussi au manque de planification urbaine et d’investissements, et à la multiplication des remblais, souvent illégaux. Pourtant, les espaces agricoles et espaces verts sont très importants pour la population.
L’agriculture urbaine est cruciale. Elle fournit un revenu à de très nombreuses personnes, contribue à l’approvisionnement alimentaire, participe à l’assainissement des eaux et joue un rôle essentiel pour réguler les inondations. Elle fait aussi partie de l’identité de la ville.
Quant aux espaces verts, ils sont très importants pour la qualité de vie. En plus d’être des éléments de décoration et embellisseurs de la ville, ils sont essentiels pour permettre aux habitants et à leurs enfants de profiter de moments de qualité.
Sandrina Randriamananjara Andriamanjato, Directrice de l’urbanisme auprès de la Commune Urbaine d’Antananarivo et cofondatrice d’INDRI, nous parle davantage des défis dans ce domaine et du travail de la Commune Urbaine d’Antananarivo (CUA) pour préserver ces espaces et en créer de nouveaux.
En tant que Directrice de l’Urbanisme, vous êtes notamment en charge des enjeux de l’agriculture urbaine et des espaces verts à Tana. Pouvez-vous nous résumer la situation sur ces enjeux ?
Antananarivo est historiquement une ville entourée de rizières. L’agriculture urbaine fait à la fois partie du paysage urbain de la capitale, de son histoire et de ses coutumes. Avec le développement de la ville et les extensions urbaines actuelles, nous avons de moins en moins ce paysage vert. Cette situation préoccupante amène la Commune à faire des efforts dans la protection de ces espaces agricoles en milieu urbain. En termes de planification, nous avons entamé des stratégies de conservation et aussi la mise en place de prescriptions d’urbanisme pro-agricoles dans ces zones, c’est-à-dire que le plan d’urbanisme va sanctuariser ces zones agricoles dans plusieurs lieux à Antananarivo et les rendre inconstructibles. Cela permettra à la fois de maintenir des zones humides qui serviront de réservoirs d’eau, de maintenir les sources de revenu de nombreuses personnes, et de préserver le paysage urbain tel que nous le connaissons, qui fait l’une des identités de la Capitale.
Concernant l’agriculture urbaine, quelle est son importance et comment évolue la situation ?
On a deux types d’agriculture à Antananarivo : l’agriculture qui se fait sur les collines et celle qui se fait dans les plaines. Actuellement, celle qui se fait sur les plaines fait face aux remblais et à l’expansion urbaine, qu’il faut encadrer et limiter. Par ailleurs, elle reçoit énormément d’eaux usées, ce qui rend problématique la consommabilité des produits. Aujourd’hui, les canaux d’irrigation sont devenus des canaux d’évacuation, d’où nos problèmes d’assainissement dans la ville. Face à cela, il faut adapter les infrastructures pour réguler les flux d’eau. La Commune fait justement des efforts dans tout ce qui est projet d’assainissement afin de séparer les canaux d’évacuation des canaux d’irrigation.
Qu’est-ce que vous essayez d’accomplir en matière d’agriculture urbaine ?
Sur l’agriculture urbaine, nous travaillons énormément avec des producteurs encadrés qui travaillent justement dans des espaces qui ont cette vocation. Nous avons, au niveau de notre pépinière à Antanimena, un centre de collecte et de vente de produits locaux pour soutenir ces agriculteurs. Nous travaillons aussi à éviter que ces espaces ne se réduisent chaque année sous l’effet des remblais.
Justement, beaucoup s’inquiètent de ces nombreux remblais. Année après année, ils réduisent l’espace agricole et aggravent les inondations. Comment est-ce que la CUA essaye de résoudre ce problème ?
Il faut faire la part des choses entre remblai et assainissement. Le remblai est une technique de construction, comme toute autre technique, qui permet de transformer une terre ou une surface, de la modifier, d’y permettre l’installation et de mieux construire dessus. A Antananarivo, les remblais consistent à transformer d’anciennes rizières et zones humides en terres pleines pour la construction. C’est une nécessité si l’on veut faire de l’extension urbaine, puisqu’on n’a plus énormément de foncier constructible. Le remblai est parfois nécessaire pour pouvoir développer la ville et rajouter des activités, des logements et autres infrastructures.
Cela étant dit, au vu des impacts négatifs de ces remblais, pour l’instant ils sont prohibés à Antananarivo grâce à un décret sorti en conseil des ministres. Après, l’idée est que ce décret est censé permettre à la ville et toutes les autorités de mettre en place une stratégie pour pouvoir définir les priorités et pouvoir investir par la suite. Pour pouvoir lever ce décret, il faudra au préalable définir les priorités pour pouvoir permettre d’aménager certaines zones. Pour éviter que cela n’accroisse les inondations, il faudra faire des infrastructures compensatoires. Et infrastructures signifie investissement, ce qui signifie argent; il faudra donc trouver les moyens de permettre à la ville de continuer à se développer mais dans un bon cadre bien défini.
Quelles autres actions menez-vous pour diminuer le risque d’inondations ?
Les inondations sont un grand défi. Antananarivo fait face au changement climatique, ce qui a entraîné une augmentation des précipitations ces dernières années. D’une autre part, nous faisons aussi face au manque d’infrastructures d’assainissement. La ville ne s’est pas préparée à recevoir l’eau qu’elle est censée accueillir : il manque des canaux primaires, secondaires et tertiaires et des bassins de rétention pour pouvoir justement contenir cette quantité d’eau qui étouffe la ville et qui l’inonde durant la saison des pluies.
Il y a un besoin de grands travaux, qui demandent des millions d’euros d’investissement, que la CUA n’a pas forcément à son niveau comme fonds. Toutefois, il faut aussi et plus simplement améliorer l’entretien des canaux existants. Malheureusement, ces canaux disparaissent petit à petit dans les quartiers à cause de l’occupation illicite et de l’ignorance de beaucoup sur leur importance. Face à cela, la CUA se charge des travaux de curage et d’entretien des canaux. Fort heureusement, nous avons énormément d’équipements et de matériels grâce à des partenariats qui nous permettent chaque année de faire ces travaux.
A noter que le principal ennemi de nos canaux, ce sont les déchets qui bloquent le bon écoulement de l’eau. Pour pallier cela, nous menons énormément d’activités de sensibilisation citoyenne au niveau des quartiers pour inviter les gens à déposer leurs ordures au niveau des bacs à ordures et bacs intermédiaires au lieu de les jeter directement dans les canaux. Il y a plusieurs fronts sur lesquels il faut travailler pour résoudre les problèmes d’assainissement à Antananarivo.
Concernant les espaces verts, chacun a pu noter que la ville a fait des investissements, notamment à Ambohijatovo. Pouvez-vous expliquer les objectifs de la commune dans ce domaine ? En quoi est-ce important parmi tous les défis que connaît la capitale ?
Les espaces verts sont effectivement parmi les priorités de Monsieur le Maire. Dans son programme, nous avons « Antananarivo, ville verte ». La vision est de vraiment poser un développement de la ville qui s’axe sur la priorisation des superficies vertes, d’abord pour une question d’esthétique car une ville plus belle permet aux gens de mieux se sentir dans leur vie et de mieux se l’approprier.
Une ville avec des espaces verts est beaucoup plus saine grâce aux effets des plantes sur le quotidien mais aussi grâce aux activités autour de ces espaces verts qui nous permettent aujourd’hui de piqueniquer dans un cadre propre à l’intérieur de la ville, et qui nous permet d’avoir des activités sportives. Avec cette politique nous espérons améliorer progressivement le bien-être de chaque citadin dans la ville.
Nous avons plusieurs approches pour l’augmentation des espaces verts : il y a tout ce qui est investissement propre de la commune via les grands jardins, c’est ce qui nous a permis de réaliser Anosy et Ambohijatovo. Il y a aussi des petites initiatives avec les fokontany et associations d’habitants qui nous permettent de créer des petits espaces verts à l’intérieur des quartiers qui sont entretenus par ces habitants-là. Et la dernière chose, c’est le partenariat public privé : il y a certaines entreprises qui travaillent avec nous pour pouvoir créer des espaces verts autour de leurs zones d’activité, toujours dans l’objectif de rendre la ville plus belle et plus vivable. C’est un objectif qui nous tient beaucoup à cœur.
Au niveau des fokontany, est-ce que les gens s’occupent bien de ces espaces verts ?
Actuellement, nous constatons que les gens s’intéressent aux espaces verts mais que tout le monde n’a pas forcément la main verte donc, nous faisons de l’accompagnement technique pour apprendre aux gens à s’en occuper. Après, il faut du temps et nous faisons vraiment de la sensibilisation. En fonction des fokontany, dans certains cas ça marche bien, dans d’autres non. Il y a des fokontany qui réussissent même à produire eux-mêmes de nouveaux pieds de plantes grâce aux plantes qui leur ont été données ! Et d’autres qui délaissent l’espace vert parce que ça demande du temps en termes d’arrosage, d’entretiens. Tout dépend donc de l’appropriation des gens à ces petits projets. Mais concrètement, nous poursuivons nos efforts et nous ne sommes fermés à personne et accueillons toutes les initiatives.
Quels sont les défis et les obstacles à surmonter pour créer des espaces verts en ville, tels que le manque de foncier disponible ou de ressources financières ?
Effectivement le foncier urbain fait partie des fonciers les plus rentables, ayant une valeur monétaire très importante. Du coup, les gens ne sont pas enclins à prioriser la création d’espaces verts. En plus nous faisons face à beaucoup de squattérisation, c’est-à-dire que les terrains publics qui restent aujourd’hui sont illicitement occupés à des fins commerciales ou à des fins d’habitation. Il n’arrive jamais que quelqu’un choisisse spontanément de planter un arbre à la place d’un kiosque. Après, l’autre difficulté reste la sécurisation.
Je parle énormément d’appropriation, parce que les espaces verts restent un bien commun, et cette conception du bien commun reste un grand challenge en ville. Nos plantes se font dérober, on fait face à des actes de vandalisme, bref nous sommes obligés de sécuriser nos espaces verts en permanence. Mais concrètement, cela n’empêche pas que beaucoup apprécient et défendent ces espaces verts, et aujourd’hui il y a un travail d’entraide entre les riverains et la commune pour permettre de pérenniser les investissements qui ont été réalisés.
Comment les autorités locales et les citoyens peuvent-ils travailler ensemble pour créer et maintenir des espaces verts ou des espaces agricoles en ville ?
Nous essayons de saisir toutes les opportunités : avec les partenariats public-privé, avec les fokontany, avec les associations d’habitants… Nous faisons de temps en temps des donations de plantes au niveau de la commune. A un moment donné, nous avons travaillé avec l’Ambassade du Japon pour pouvoir donner des pieds de cerisier japonais aux demandeurs. Nous faisons de petites opérations comme ça et nous sommes vraiment ouverts à donner des plants s’il y a des gens qui sont intéressés, suivant nos capacités de production.
Bien sûr, nous ne donnons que si nous sommes sûrs que la plante va être utilisée à bon escient et non vendue dans les marchés. Donc il y a un contrôle, c’est-à-dire que quand on donne plusieurs plantes à une personne, on va vérifier qu’elles ont bien été plantées et que ça va bénéficier à une communauté. Nous ne donnons pas de plants pour les jardins privés, car la priorité est le bien-être de tous par rapport à l’intérêt individuel.
Quelles approches du reboisement sont les plus efficaces pour restaurer des zones dégradées en milieu urbain ou péri-urbain ?
Le reboisement en milieu urbain demande d’abord la disponibilité foncière, ce qui reste compliqué. Nous travaillons énormément sur l’emprise publique, c’est-à-dire autour des axes routiers par exemple ou des infrastructures qui appartiennent à l’Etat ou des restes de domaines de l’Etat. Dans tous les cas, les opérations faites sont la sensibilisation locale. Nous essayons de voir au niveau des habitants s’ils sont partants, car cela ne sert à rien de reboiser si demain il y a vandalisme ou vol.
Il y a d’abord cette approche communautaire et, après il y a bien sûr un travail d’entretien et de nettoyage. La CUA envoie des équipes pour entretenir les lieux, et permettre la trouaison pour la préparation du reboisement et au final l’opération de reboisement. Nous menons le reboisement soit avec les habitants, soit par nous-mêmes mais avec la participation du fokontany. Nous n’avons pas énormément de reboisements en milieu urbain parce qu’il nous manque de l’espace.
Ce qui est important, c’est que dans la planification urbaine nous prévoyons justement l’acquisition d’un foncier suffisant pour permettre de reboiser dans la ville. Donc, dans les plans en préparation (le PADARM autour de la rocade d’Iarivo et le PRODUIR, dans le premier et quatrième arrondissement), il est prévu d’avoir des zones à reboiser.
Comment les espaces verts ou agricoles urbain ou péri-urbains peuvent-ils contribuer à atténuer les effets du changement climatique, surtout les inondations pour Antananarivo ?
Les espaces agricoles sont des espaces qui permettent à l’eau d’être retenue durant la hausse des précipitations, ce sont des bassins de rétention naturels. Il est important de les préserver pour qu’ils continuent d’assurer ce rôle dans l’assainissement de la ville d’Antananarivo.
Côté espaces verts, ce qui est intéressant c’est l’augmentation des zones d’ombre dans la ville, qui permettent d’atténuer les effets de chaleur surtout en période de sécheresse. L’année dernière il y a eu une forte sécheresse à Tana et nous savons tous que le changement climatique va s’accélérer. Dans ce contexte, les arbres sont très importants pour atténuer les fortes hausses de température dans les milieux urbains qui sont surtout faits de briques, de béton, de verre et autres. Cela nous permet de mieux vivre et d’avoir un meilleur environnement et de l’oxygène, un air un peu plus frais et un peu plus sain.
Vous faites partie des cofondateurs d’INDRI, pouvez-vous nous parler de ce qui vous motive dans l’approche d’INDRI à Madagascar ?
Ce qui me motive dans INDRI, c’est la diversité à la fois des membres, des approches et des activités, et le fait de miser sur l’intelligence collective. INDRI fait partie des plateformes d’acteurs qui permettent de comprendre que ce pays ne peut être dirigé de manière solitaire. Au contraire Madagascar a besoin d’échanges bien menés et courageux, pour pouvoir définir ensemble notre identité et notre chemin. Sur chaque grand défi, il s’agit d’être capables de définir collectivement des stratégies partagées et appropriées par les différents acteurs.
C’est vraiment cet esprit participatif, ce coworking permanent qui nous permet à tous de grandir. Et c’est là qu’il y a un échange à la fois de connaissances, de culture, de valeurs qui permettra au pays et aux habitants de s’élever au-delà de ce qu’on vit aujourd’hui. C’est la valeur d’INDRI pour moi : miser sur la complémentarité, apporter un soutien permanent aux acteurs et faciliter les vrais débats dont nous avons besoin. Ce type d’approche nous permettra, je pense, d’aller plus loin dans tous les domaines.