Vatosoa est une leader de la société civile engagée depuis 8 ans pour une meilleure gestion des ressources marines à Madagascar. Elle revient sur son parcours et nous parle de l’Agora Bleue, une initiative innovante pour faire face aux enjeux côtiers et marins du pays.
Avec 5600 km de côtes riches en écosystèmes productifs (récifs, mangroves, herbiers), Madagascar présente un certain potentiel pour l’économie bleue, dans des secteurs comme la pêche durable, l’aquaculture ou l’écotourisme. Toutefois, le littoral est fragile, présente souvent des signes de dégradation et de surexploitation, et abrite des communautés parmi les plus vulnérables du pays. Malgré un réel dynamisme de certains acteurs, il manque à ce jour une vraie vision collective de l’avenir des paysages marins à Madagascar.
Face à cette situation, INDRI prépare le lancement d’une grande initiative nationale : L’Agora Bleue. L’objectif : organiser un dialogue national franc, créatif et productif entre les acteurs de la mer, pour assurer une meilleure gestion des ressources marines. Nous allons notamment nous appuyer sur notre expérience acquise depuis deux ans sur les paysages terrestres avec les 300 acteurs de l’initiative Alamino sur le reverdissement national.
Tu as aujourd’hui une grande expérience dans la conservation marine, qu’est-ce qui t’as dirigé vers ce domaine ?
À la base je n’étais pas tout spécialiste du marin, mais en 2013 j’ai eu la chance d’être sélectionnée pour participer à une formation sur la gouvernance des océans avec l’université de Halifax au Canada. C’est là que je suis tombée amoureuse de ce sujet et que j’ai compris à quel point il était important pour mon pays.
Un an après, j’ai pu faire un travail de recherche avec les Nations Unies sur les stratégies pour améliorer la gouvernance de la pêche à Madagascar. Ça m’a permis de réaliser à quel point l’implication des communautés de pêcheurs était essentielle pour préserver les écosystèmes côtiers. Vu les moyens limités qu’on avait à l’époque, j’ai compris que la meilleure stratégie était de renforcer le rôle des communautés de petits pêcheurs pour qu’ils deviennent des gardiens de la mer.
C’est justement ce que j’ai essayé de porter à partir de 2015 en tant que coordinatrice de MIHARI, le réseau qui rassemble toutes les communautés côtières, gestionnaires d’aires marines gérées localement (LMMA).
Qu’est-ce que tu as réussi à accomplir en tant que coordinatrice de MIHARI ?
À la base je voulais devenir avocate pour défendre la cause des personnes les plus vulnérables. Mais je n’ai pas réussi le concours d’entrée en droit, et j’ai fait des études en géographie. Alors quand j’ai été recruté en 2015 par MIHARI pour porter la voix des pêcheurs traditionnels, c’était un rêve pour moi. J’ai eu l’opportunité de plaider pour l’amélioration du niveau de vie de ces gens qui font partie des populations les plus vulnérables au monde. J’étais devenue en quelque sorte l’avocate des petits pêcheurs.
D’un côté il fallait briser l’isolation de ces personnes qui vivent souvent dans des zones très enclavées et réussir à faire entendre leurs voix auprès des autres acteurs (autorités, ONGs, secteur privé…). De l’autre côté il fallait encourager ces communautés à se rassembler, à se coordonner et à gérer eux même les ressources côtières et marines en les encourageant à créer des Aires Marines Gérées Localement qu’on appelle “LMMA” pour “Locally Managed Marine Area” en anglais.
Quand je suis arrivé à MIHARI en 2015 il y avait seulement 50 LMMA, aujourd’hui grâce au travail incroyable de l’équipe et des communautés de pêcheurs il y en a plus de 200 dans les 13 régions côtières du pays. C’était une expérience incroyable et j’ai tellement appris ! Pour moi ces pêcheurs sont au même niveau que des gens qui ont un doctorat sur la mer. Une fois sur leur pirogue ils savent tellement de choses !
Qu’est-ce que ces LMMA (Aires Marines Gérées Localement) et le réseau MIHARI ont permis de changer ?
Il faut comprendre que la situation est très critique à l’origine. Les écosystèmes sont en grave danger à cause du climat, de la surpêche, des conflits entre les pêcheurs locaux et la pêche industrielle etc. Les barrières de corail reculent, 20% des surfaces de mangrove ont été détruites en 20 ans, et les populations côtières dépendantes de la mer se retrouvent encore plus pauvres et vulnérables.
Face à cette situation, le travail du réseau MIHARI avec les communautés est un exemple de réussite. L’augmentation importante depuis 2015 du nombre de LMMA à permis un réel changement de comportement dans le bon sens. On a vu de plus en plus de communautés suivre les régulations locales, mettre en place des réserves temporaires, respecter les périodes de pêche pour permettre un meilleur renouvellement, préserver et reboiser les mangroves.
Cette réussite fait de Madagascar un exemple à l’international ! En 2019, j’ai eu l’honneur de recevoir le Whitley Award qui récompense les héros de la conservation et que j’ai dédié aux communautés LMMA de Madagascar, les gardiens de la mer.
Quels sont les défis qui restent à relever ?
Le réseau MIHARI permet de rassembler les communautés de pêcheurs, et de faciliter la coordination entre ces communautés et les ONGs concernées. C’est une étape fondamentale pour réussir. Pour aller plus loin, il faut aujourd’hui élargir le dialogue en incluant aussi les autorités, le secteur privé, et les bailleurs de fonds. Avec les années j’ai vu certains sujets importants bloquer, comme l’accès aux zones de pêche, la régulation des engins de pêche, le respect des règlementations en vigueur, l’accès des pêcheurs traditionnels au marché, etc. Tout ça par défaut justement de dialogue entre les communautés locales et les autres acteurs.
On voit qu’il manque un espace pour rassembler toute cette diversité d’acteurs sur les questions côtières et marines, je ne suis certainement pas la seule à le constater ! J’espère qu’avec l’Agora Bleue qui sera lancé prochainement par lNDRI, nous pourrons aider les acteurs dans ce sens.
Qu’est-ce que l’Agora Bleue ?
Partant du constat que je viens de vous partager, la mission de l’Agora Bleue est justement d’asseoir à une même table les communautés, les bailleurs, les ONG, les représentants des autorités, les experts et instituts de recherche, le secteur privé et la société civile pour qu’ils réfléchissent et construisent vraiment ensemble. Pour le moment cette table commune n’existe pas, c’est ce qu’INDRI propose d’apporter, et c’est précisément notre expertise : rassembler et coordonner une grande diversité d’acteurs avec des méthodes innovantes pour mobiliser l’intelligence collective.
L’enjeu est de dégager une vision commune de l’économie bleue à Madagascar. Comment optimiser la gestion des ressources côtières et marines au bénéfice de l’environnement, des communautés, du secteur privé et du pays en général. C’est un espace qui permettra aussi aux acteurs du marin de partager leurs bonnes pratiques et de mettre en commun leurs efforts. En collaboration étroite avec le réseau MIHARI, l’initiative vise également à renforcer les échanges et la collaboration entre les communautés locales et les autres acteurs (gouvernement, secteur privé…).
Nous avons déjà une expérience probante avec l’initiative Alamino, l’Agora des Paysages et des Forêts de Madagascar, lancée par INDRI en 2019 et qui applique les méthodes de mobilisation des acteurs qu’on souhaite mettre en place sur les paysages côtiers avec l’Agora Bleue. On voit que ce modèle d’Agora fonctionne, qu’il répond à un réel besoin. Alamino permet déjà d’atteindre des objectifs très prometteurs pour une initiative si jeune. Ça me donne vraiment espoir. Je suis convaincue que l’Agora Bleue va permettre d’avancer sur les grands défis sur lesquels on avait bloqué dans le passé.
Où en est-on de la création de cette Agora Bleue ?
On s’active depuis plus de 6 mois pour préparer ce lancement ! Et les 6 prochains mois vont aussi être dédiés uniquement à la préparation pour s’assurer de poser des bases solides. Nous avons déjà réalisé une série d’entretiens avec plus de 20 acteurs différents spécialistes des enjeux marins (représentants des autorités, du secteur privé, des ONG, des communautés locales, de la société civile et de la recherche). L’Agora Bleue est une initiative véritablement au service des acteurs du marin. La première étape était donc de bien comprendre leurs besoins, les défis qu’ils rencontrent pour préciser le rôle de cette future Agora Bleue.
Ces premiers entretiens ont vraiment conforté l’idée qu’une Agora Bleue était nécessaire. Toutes les personnes consultées nous ont dit qu’un des problèmes majeurs, c’était précisément le manque de communication et de coordination entre les différents types d’acteurs. On nous a rapporté que chacun travaillait encore trop de son côté et qu’il manquait vraiment d’instances qui regroupent et facilitent le dialogue entre tout le monde. Pour compléter ces entretiens nous avons aussi rencontré le Ministre de la Pêche, Monsieur Paubert Tsimanaoraty Mahatante le 24 mai 2022. Il a apporté tout son soutien au lancement de l’initiative, et a partagé comment elle pourrait soutenir son ministère au service de la réussite du pays. Rassembler toutes les parties prenantes marines concernées à Madagascar autour d’une vision et d’une stratégie communes, afin de soutenir la gestion durable des écosystèmes et des ressources marines.
Les choses sont bien engagées ! Grâce au Whitley Award que j’ai reçu en 2019, l’Agora Bleue a déjà pu bénéficier d’un financement 70000£ qui nous aide beaucoup pour le lancement. Ces fonds nous ont permis début mai de recruter une nouvelle personne, Jéremie Ndriamanja qui est Biologiste marin et océanographe de formation. Il est expert des enjeux côtiers et marins et il apporte déjà une aide précieuse dans cette phase de préparation de l’Agora Bleue.
Quelles sont maintenant les prochaines étapes ?
On travaille en ce moment à cartographier toutes les parties prenantes qui doivent être impliqués dans l’Agora Bleue et on commence à les engager progressivement. Les interviews auprès des acteurs se poursuivent et des consultations dans les régions côtières sont en cours afin de prendre en compte les besoins et les défis spécifiques de chaque zone.
Je suis tellement heureuse de pouvoir retrouver les acteurs de la mer et les communautés de petits pêcheurs ! C’était une des meilleures expériences de ma vie, d’avoir la chance de pouvoir défendre leur voix pendant 6 ans avec MIHARI. Avec l’Agora Bleue, je veux me mettre de nouveau à leur service mais cette fois-ci en travaillant de manière élargie avec l’ensemble des acteurs.
L’Agora Bleue sera lancée en novembre 2022 et j’invite tous les acteurs du marin qui souhaitent faire avancer les choses à rejoindre l’initiative !