Quand on évoque le reverdissement de Madagascar on parle évidemment de reboisement, mais pas seulement ! Pour réussir la restauration de nos paysages il faut un équilibre entre des forêts, une agriculture productive et respectueuse de l’environnement, et des activités économiques durables pour la population.
INDRI a depuis peu la chance de compter parmi ses membres Gaëtan Etancelin, qui est justement expert de ces questions. Personnalité aux multiples casquettes, Gaëtan est notamment Directeur de l’Huilerie Melville Groupe Savonnerie Tropicale S.A, Vice-Président de la Commission des Jeunes et Entrepreneuriat au sein du FIV.MPA.MA, et a été Président du Syndicat Malgache de l’Agriculture Biologique de 2017 à 2021.
On s’interroge aujourd’hui avec lui sur le potentiel de l’agriculture bio et de la production durable d’huile de palme comme moteur pour le développement et le reverdissement du pays.
Pensez-vous que l’agriculture biologique peut jouer un rôle dans la restauration des paysages et des forêts à Madagascar ?
L’agriculture biologique est très adaptée au contexte du pays, notamment parce qu’elle demande peu d’intrants : quand on sait que la majorité des exploitations agricoles malgaches sont de très petite taille, atomisées sur le territoire, il n’est souvent pas rentable pour nos paysans de faire venir ces produits dans des zones rurales souvent enclavées.
Par ailleurs, Madagascar doit miser sur la qualité. Le combat est perdu d’avance face aux immenses exploitations qu’on peut rencontrer en Amérique du Sud par exemple. À cause des économies d’échelle, on se retrouve rapidement dans des situations où le kilo de maïs importé produit à des milliers de kilomètres peut être moins cher que celui cultivé à Madagascar, et vendu dans les épiceries locales.
De l’autre côté, grâce à l’agriculture biologique, nos paysans peuvent être très compétitifs sur le marché international. Une des preuves marquantes de l’efficacité de ce modèle, c’est la multiplication par 20 du nombre d’agriculteurs malagasy qui travaillent en bio en seulement 10 ans. Ils sont aujourd’hui plus de 70 000 à être recensés et accompagnés !
Quels sont les avantages de l’agriculture bio d’un point de vue social et environnemental ?
L’absence d’utilisation de produits nocifs pour l’homme et pour l’environnement est un grand avantage, mais c’est loin d’être le seul. Alors que le tavy (culture sur abattis-brûlis) est une cause importante de la destruction des forêts, les coopératives d’agriculture biologique permettent de former les paysans à des pratiques alternatives plus productives et respectueuses de l’environnement. Nous travaillons notamment en polyculture, en agroforesterie, ce qui permet d’améliorer la fertilité des sols, et d’être plus résilients face au changement climatique.
Tout ça se fait en valorisant au maximum les savoirs et les pratiques traditionnelles, et grâce aux coopératives bio les paysans peuvent voir directement les réussites de ceux qui ont changé de modèle. Je connais par exemple de nombreux agriculteurs bio qui ont pu envoyer leurs enfants à l’université.
Un projet de loi sur le Bio à Madagascar en gestation depuis 2018 vient d’être mis en application. Que prévoit cette nouvelle législation ?
Cette loi permet de faire certifier en bio non plus uniquement à l’échelle d’une exploitation, mais à l’échelle d’un territoire entier. C’est une première au niveau mondial ! Ce concept de “Territoire à Vocation Agricole Biologique” permet de faciliter l’accès à la certification, particulièrement pour les petites exploitations, et d’avoir une gestion agricole intégrée à l’échelle du paysage. On ne réfléchit plus juste au niveau de la parcelle, mais on pense vraiment l’agriculture en synergie avec tout l’écosystème.
Parmi vos activités, vous dirigez une plantation de palmiers à huile proche de Toamasina. On connaît la mauvaise réputation de l’huile de palme au niveau mondial, qui peut entraîner la destruction de grandes surfaces de forêts tropicales. Qu’est-ce qui fait qu’ici la situation est différente, et qu’une production écologique d’huile de palme peut au contraire participer à la protection de l’environnement?
On ne peut pas comparer les pratiques de notre exploitation avec celles des plantations industrielles de Malaisie ou d’Indonésie qui sont effectivement un désastre écologique. À Madagascar les surfaces de terres disponibles pour l’agriculture représentent 30 % de la superficie du pays. C’est considérable par rapport à d’autres régions du monde. Ce qui veut dire qu’ici la production d’huile de palme n’a pas besoin de se faire au prix de la destruction de la forêt, et peut au contraire devenir un levier de développement et de restauration. Suite à une étude de l’organisation Proforest, notre plantation a d’ailleurs été reconnue pour sa haute valeur en matière de conservation et de stockage du carbone. Une production écologique d’huile de palme est donc tout à fait possible ! C’est même une nécessité quand on sait la demande qui existe au niveau mondial.
Le palmier à huile peut être une culture très intéressante pour les sols et la biodiversité. Elle permet de conserver un couvert végétal permanent contrairement à d’autres plantes oléagineuses comme le soja, le colza, ou le tournesol qui peuvent laisser le sol nu, exposé à l’érosion toute une partie de l’année. Sur notre exploitation on pousse cette logique encore plus loin en cultivant le palmier en association avec d’autres cultures : vanille, cacao, ylang, ravintsara, riz, ou encore plantes maraîchères ! Nos méthodes ont même été récompensées à l’international, notamment par le “Organic and Fair Palm Oil Production – Assessment Project” qui nous classe parmi les plantations les plus durables au monde.
Enfin sur le plan social, notre seule exploitation de 3 000 hectares représente près de 600 emplois directs à l’année ! C’est un point important pour lutter contre la pauvreté et contribuer à l’atteinte des Objectifs de Développement Durable à Madagascar.
Pour faire le lien avec notre précédent sujet : votre plantation d’huile de palme est-elle certifiée en agriculture biologique ?
Bien sûr ! Nous avons même été une des premières exploitations de palmiers à huile à obtenir la certification dans le monde il y a presque 30 ans. Mais ce n’est pas tout : la mauvaise image que traîne l’huile de palme auprès des consommateurs a finalement poussé les producteurs responsables à développer des réglementations toujours plus exigeantes en matière d’impact social et environnemental. La RSPO (Round Table on Sustainable Palm Oil) créée en 2004 est désormais la référence en termes de certification durable. C’est le cas aussi de la réglementation BIOSUISSE, que Madagascar a contribué à développer, se positionnant comme un exemple de la production écologique d’huile de palme au niveau international.
Et le palmier à huile est loin d’être la seule production bio pour laquelle le pays bénéficie d’une renommée mondiale. Le cacao, la crevette, l’ylang-ylang, et la vanille de Madagascar reçoivent régulièrement des prix internationaux, et ces produits se retrouvent sur la table des plus grands restaurants du monde. Pourtant, cette excellence malagasy est encore trop peu connue, et le pays doit mieux valoriser son “image de marque” sur le marché international.
Quel est le potentiel de développement du bio à Madagascar ?
Le potentiel est énorme. Sur l’année écoulée, alors qu’on était en pleine pandémie, les États-Unis ont vu leur consommation de produits bio augmenter de 12% ! L’Europe est sur la même tendance et le reste du monde va très probablement y venir également. Cela représenterait un boom considérable de demande au niveau mondial, et comme on l’a vu, Madagascar est très bien positionné pour pouvoir en profiter. Si l’Europe veut augmenter de 25% les superficies cultivées en bio d’ici 2030, nous devrions viser 50% pour Madagascar !
Si les perspectives sont intéressantes sur le marché international, y a-t-il aussi des débouchés à l’intérieur du territoire ?
Certaines catégories de consommateurs sont déjà sensibilisées au bio. On voit aujourd’hui des rayons bios importants dans les grandes surfaces, malheureusement remplis de produits importés. Le marché local est donc déjà là ! Si ces grandes enseignes s’approvisionnent autant en bio c’est qu’il y a une demande.
Et sur le frais, on a vu le système de paniers de légumes livrés à domicile se développer énormément durant le confinement. Beaucoup se disent “panier bio” sans avoir la certification. Mais on observe que le bio est déjà un argument de vente ! Avec la nouvelle législation dont on parlait, on va pouvoir encadrer l’utilisation de ce terme et assurer qu’il y a derrière une production vraiment bio avec un impact social et environnemental positif.
Vous faites partie de la plateforme Alamino facilitée par INDRI qui rassemble la diversité des acteurs pour réussir le reverdissement du pays. Qu’est-ce que cette initiative peut apporter selon vous sur ce grand défi national ?
Alamino peut nous permettre de mieux nous organiser, nous structurer et coordonner nos actions.
Il y a aujourd’hui un réel besoin de renforcer les échanges entre le secteur privé et le reste des acteurs (autorités, société civile…) sur les questions environnementales. Je pense que c’est vraiment un des éléments clé qu’Alamino permet d’apporter. On a par exemple de nombreuses entreprises qui souhaiteraient s’impliquer dans des actions de reboisement, mais qui ne savent pas toujours comment procéder ou à quel partenaire s’adresser pour la mise en œuvre.
Le secteur privé représente une force majeure du pays, avec une grande capacité d’adaptation et de résilience. Notre réussite dépendra pour une part importante de notre capacité à mieux impliquer les entreprises sur ce défi de reverdissement national. Pour cela il faut que leurs besoins et leurs enjeux spécifiques soient identifiés, quantifiés et pris en compte. Je pense qu’Alamino peut y contribuer.