COMMENT PROTÉGER LA FORÊT DU MENABE ? Interview de Linjasoa Rakotomalala

© Durrell Madagascar

La forêt sèche du Menabe est un véritable trésor national. Elle abrite de nombreuses espèces emblématiques allant des grands baobabs au plus petit primate du monde. 
En 20 ans, cette forêt s’est réduite de moitié. Rien qu’en 2020, une surface équivalente à 18200 terrains de foot a été détruite. À ce rythme, on estime que dans 4 ans elle aura totalement disparu. L’enjeu est considérable : en plus de constituer une catastrophe écologique, la destruction de cette forêt serait un désastre humain pour toutes les communautés qui en dépendent. 
INDRI à la chance d’avoir dans son équipe une spécialiste en sciences agronomiques et environnementales pour la région du Menabe : Dr Linjasoa Rakotomalala. Nous lui donnons aujourd’hui la parole afin qu’elle nous éclaire sur les causes profondes de la déforestation dans cette zone, et les solutions possibles pour l’arrêter.

Linjasoa, quelle est ta formation et d’où vient ton expertise sur le Menabe ?

Je suis docteure en sciences agronomiques et environnementales, et ingénieure agronome spécialité eaux et forêts. C’est avec ma thèse de doctorat que j’ai pu effectuer des recherches approfondies pendant quatre années sur la situation dans le Menabe, et plus particulièrement sur “les facteurs explicatifs de la culture sur brûlis” dans cette zone.

Linjasoa durant sa soutenance de thèse portant sur le Menabe

Qu’est-ce qui t’a poussée à t’intéresser spécifiquement au Menabe ? 

En 2007, avant ma thèse, j’avais déjà eu l’occasion de faire des recherches sur la zone Menabe-Antimena pour l’obtention de mon diplôme d’ingéniorat.

En descendant la première fois sur terrain, j’ai tout de suite été passionnée par cette forêt sèche qui abrite tellement d’espèces uniques, comme le plus petit primate du monde (Microcebus berthae), l’incroyable rat sauteur géant, ou encore ces immenses baobabs qui font partie des symboles de notre pays. J’ai senti à quel point cette forêt était un trésor national, et même mondial, puisque beaucoup d’espèces ne sont présentes qu’à cet endroit. 

À ce moment-là on voyait déjà que l’écosystème du Menabe était fragile, et qu’il était menacé par la pratique de l’abattis-brûlis qui gagnait de plus en plus de terrain sur la forêt.

Quand tu es revenu dans le Menabe pour ton doctorat, 7 ans après cette première visite, comment les choses avaient évoluées ?

Quand l’occasion s’est présentée en 2014 pour effectuer une recherche dans la même zone, j’étais très enthousiaste d’y retourner. De pouvoir retrouver cette belle forêt et essayer de contribuer à la protéger. 

Mais en arrivant sur le terrain, la tristesse m’a envahie en voyant les surfaces brûlées. La forêt qui se trouvait à gauche de la route vers Belo sur Tsiribihina n’était plus qu’un rideau d’arbres pour cacher les cultures derrière. Hélas les choses se sont encore aggravées ces dernières années, malgré les efforts des organisations qui travaillent sur place.

Zone de forêt détruite dans le Menabe / mars 2020 / © Dry Forest

Quelles sont les causes de cette destruction de la forêt ? 

La cause directe, que l’on peut constater immédiatement, c’est la culture sur abattis-brûlis, appelé hatsaky dans le Menabe. Les gens coupent un morceau de forêt, laissent sécher la végétation, puis brûlent. Ça permet de fertiliser la terre et de préparer les parcelles à cultiver.  
Mais le hatsaky, c’est juste la cause directe. Il faut se demander : qu’est-ce qui motive les gens à pratiquer le hatsaky ? Et qu’est-ce qui fait que cette pratique est à un niveau tellement élevé dans le Menabe ? C’est justement ces questions qui m’ont intéressées durant mes travaux de doctorat.

Abattis-brulis appelé hatsaky dans le Menabe / © Durrell Madagascar

D’après tes recherches, quelles sont les causes profondes de la déforestation dans le Menabe ? 

Les habitants originaires du Menabe défrichent la forêt pour cultiver depuis toujours, mais ils pratiquaient une certaine gestion communautaire de la forêt, et les impacts restaient limités. 

C’est avec l’arrivée de vagues de migrants venus de l’Androy, que le recul de la forêt s’est considérablement accéléré.

Qu’est-ce qui motive ces populations à migrer dans le Menabe ?

Plusieurs facteurs convergent : notamment la sécheresse dans l’Androy qui s’aggrave chaque année, et l’importance des zébus dans la culture Antandroy qui les poussent à chercher des revenus ailleurs pour pouvoir en acquérir.

De l’autre côté dans le Menabe, il existe des filières économiques autour de la culture d’arachides et de maïs, qui s’achètent à prix élevés. Tout ça encourage ces populations à migrer dans le Menabe, et à défricher illégalement la forêt pour cultiver ces produits. 

Une partie des migrants travaillaient autrefois comme saisonniers dans une plantation de sisal ou dans l’usine sucrière Sucoma, mais ces activités ont fermé ce qui a conduit de nouvelles personnes à se reporter sur la culture illégale d’arachide et de maïs.

Culture illégale de mais dans la forêt du Menabe / © Durrell Madagascar

Quelles sont les difficultés spécifiques à cette région qui font que la situation est si compliquée à résoudre ?

Comme je l’ai évoqué, les facteurs à l’origine des migrations sont nombreux et dépendent de différents domaines : économique, industriel, agricole, social… Endiguer les migrations à l’origine de la déforestation demande donc une action coordonnée entre tous ces domaines. 

On le voit, malgré les efforts du Ministère de l’Environnement et des organisations présentes sur place, la forêt continue de reculer. Ces acteurs ont besoin du soutien des autres secteurs pour réussir ! Il faut notamment des moyens pour faire respecter les règles de protection de la forêt, et pour lutter contre un important problème de corruption dans la région qui aggrave encore la situation.

Malgré cette situation difficile, y a-t-il quand même des points positifs qui donnent de l’espoir pour la suite ? 

Oui ! Il y a déjà de nombreux acteurs dynamiques impliqués dans le Menabe, qui ont acquis au fil des années une expérience très précieuse. Toutes ces organisations sont déjà réunies au sein d’une task force pour coordonner leurs actions. Même si avec la crise sanitaire le fonctionnement de cette task force a été plus difficile, cette plateforme est déjà une base intéressante sur laquelle construire pour trouver des solutions collectives. 

Dans le positif, j’ai pu aussi voir une vraie volonté de Madame la Ministre de l’Environnement et du Développement Durable de faire de la protection du Menabe une priorité. 

Toutefois le MEDD ne peut pas résoudre cette situation seul. L’ampleur et la complexité du problème nécessitent des moyens plus importants et une mobilisation d’autres secteurs, notamment commerce, industrie, population, agriculture, intérieur, justice et sécurité. 

On peut donc imaginer un avenir positif pour cette région de Madagascar ?

Bien sûr. L’aire protégée du Menabe-Antimena a un grand potentiel en matière d’écotourisme. La région est également favorable à certaines productions agricoles, comme le miel, la mangue ou la noix de cajou. Le Menabe pourrait devenir une région où une agriculture viable cohabite avec une aire protégée bien gérée, et même restaurée. De nombreux acteurs ont cette vision. Le défi est de bâtir une stratégie plus concrète et surtout partagée entre le gouvernement, la société civile, les communautés, le secteur privé, les ONG et les bailleurs de fonds.

Quel est le rôle qu’INDRI peut jouer ?

Depuis trois mois, l’initiative Alamino lancée par INDRI, a engagé un grand processus de consultation multi-acteurs afin d’élaborer un ensemble de mesures pour lutter contre les feux. Au vu de la situation, les acteurs participants ont décidé de porter une attention particulière au Menabe. Nous allons proposer d’en faire une zone pilote pour tester de façon prioritaire l’application de certaines mesures sur lesquelles travaille Alamino. 

L’engagement du Ministère de l’Environnement, la mobilisation de la société civile, la coordination des acteurs qui s’accélère, la prise de conscience croissante de nombreux acteurs, sont autant de pas dans la bonne direction… La situation reste extrêmement préoccupante mais je pense que nous avons un rôle utile et je suis fière de pouvoir faire partie de cet effort collectif. Plus un problème est complexe, plus il est important de mobiliser l’intelligence collective des acteurs pour trouver des solutions et bâtir une nouvelle vision de l’avenir. Nous essayons d’aider à cela. 

Si nous continuons dans cet élan de solidarité et d’esprit de collaboration, j’ai bon espoir que nous arriverons à sauver l’aire protégée de Menabe-Antimena.

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